Description de l’EIAS :
Patient de 62 ans (160cm, 91kg) ayant déjà bénéficié d’une chirurgie de plastie mitrale associée à un triple pontage coronaire dont un pontage mammaire droite «in situ» sur la coronaire droite.
Neuf mois plus tard, il nécessite une réintervention pour récidive de la fuite mitrale sévère et symptomatique. Un bilan préopératoire à minima est alors réalisé qui n’inclut pas une coronarographie de contrôle compte tenu de la proximité du premier geste chirurgical et de l’absence de signes d’ischémie myocardique.
Lors de la réintervention qui va consister en un RVM biologique par voie biauriculaire transeptale, le pontage mammaire droite-coronaire droite semble non fonctionnel. Il est alors décidé de réaliser la cardioplégie par voie rétrograde. La CEC sera réalisée à 30°C avec clampage de l‘aorte mais pas du greffon mammaire gauche en raison d’adhérences très denses.
Lors du sevrage de la CEC, on assiste à une défaillance bi-ventriculaire avec des ventricules hypokinétiques et une FEVG à 25% (50% en pré-op.). On met alors en place des amines à fortes doses puis une ECMO périphérique.
A la sortie du bloc, un contrôle coronarographique confirme l’occlusion du pontage coronaire droit et la perméabilité des pontages à gauche. Une recanalisation par angioplastie de la coronaire droite native avec stenting est alors réalisée. Il s’en suit une récupération biventriculaire qui aurait pu permettre le sevrage de l’ECMO à J3 mais une nouvelle complication va survenir.
En effet, lors de la baisse du débit de l’ECMO, la bioprothèse mitrale ne s’ouvre pas ou très peu, les pressions pulmonaires s’élèvent jusqu’à 96 mmHg, le gradient moyen transmitrale est de 24 mmHg. Bien que l’anticoagulation ait été toujours efficace depuis la sortie du bloc, on décide de majorer l’héparinothérapie. À J6, le tableau clinique étant inchangé, on décide de réaliser une valvuloplastie au ballon de la bioprothèse mitrale par voie transapicale afin d’éviter une nouvelle CEC et une nouvelle auriculotomie. La procédure est un succès avec réduction immédiate du gradient transmitrale (6 mmHg) et de l’HTAP (43 mmHg). Le patient sera sevré de l’ECMO le jour suivant et s’en suivra une amélioration clinique progressive en réanimation jusqu’à la sortie du patient avec une FEVG de 45% pour 50% à l’entrée dans le service.
Actuellement, 11 mois après la dernière intervention, le patient va bien et il est asymptomatique. Au dernier ETT (mars 2022), la bioprothèse mitrale fonctionne normalement (gradient 4 mmHg). FEVG conservée.
Commentaires :
Ce cas clinique appelle plusieurs interrogations :
La coronarographie de contrôle n’a pas été réalisée car on a estimé qu’elle ne se justifiait pas en raison de la proximité dans le temps (9 mois) de l’intervention initiale, ce d’autant que durant cette période, le patient n’a pas présenté de signes cliniques ou électriques d’ischémie myocardique.
La suite de l’histoire montrera que cette option n’était pas la meilleure et que si on avait su que le pontage droit n’était pas fonctionnel, on aurait associé une revascularisation coronaire droite au remplacement valvulaire et cela aurait peut-être évité la défaillance biventriculaire au sortir de la CEC.
2. La suspicion de l’occlusion du pontage coronaire droit lors de la réouverture thoracique devait-elle conduire à réaliser la cardioplégie par voie rétrograde ?
Dans la mesure où l’on sait que la cardioplégie est d’un point de vue vasculaire plus efficace par voie antérograde que par voie rétrograde et qu’au cours des 9 mois après l’intervention initiale le patient n’avait pas montré de signes d’ischémie myocardique malgré l’occlusion du pontage droit, vraisemblablement en raison d’une bonne collatéralité, on peut se demander si une cardioplégie antérograde n’aurait pas été plus efficace. D’autant que le greffon mammaire gauche n’a pas été clampé durant le clampage aortique en raison d’adhérences très denses.
3. La valvuloplastie au ballon de la bioprothèse mitrale par voie transapicale pose 2 questions :
– son indication.
– le choix de la voie transapicale.
Dans la mesure où on constatait que la bioprothèse mitrale n’était pas fonctionnelle avec des feuillets ne s’ouvrant pas ou peu, s’accompagnant d’une HTAP systolique à 96 mmHg avec un gradient transmitrale à 24 mmHg et que l’anticoagulation avait toujours été satisfaisante, il était légitime d’intervenir sur la bioprothèse.
Compte tenu que ce patient était sous ECMO périphérique et avait déjà subi 2 CEC, les praticiens ont voulu lui éviter une troisième CEC ainsi qu’une réouverture de la voie d’abord biauriculaire transeptale qui avait déjà été utilisée. Ils ont opté pour une valvuloplastie au ballon par voie transapicale. Les suites favorables leur ont donné raison.
Quant au mécanisme du dysfonctionnement de la bioprothèse, les auteurs pensent qu’il s’agit de la formation au niveau des feuillets de la bioprothèse d’un pannus qui se serait constitué sous ECMO, période durant laquelle les feuillets ont peu de mobilité.
CE QU’IL FAUT RETENIR :
-Dans le bilan pré-opératoire d’une réintervention cardiaque chez un patient ayant déjà eu des pontages coronaires, la réalisation d’une coronarographie de contrôle appréciant l’état du réseau natif et la perméabilité des pontages doit être systématique. L’absence d’évènement coronarien clinique ou électrique depuis l’intervention initiale ne doit pas faire surseoir à cette exploration coronaire.
-La réalisation de la cardioplégie par voie rétrograde, du fait de la suspicion de l’occlusion du pontage mammaire droit, n’était vraisemblablement pas la meilleure option. Une cardioplégie antérograde aurait certainement été plus efficace et aurait peut-être évité la défaillance biventriculaire post CEC, d’autant que le pontage mammaire gauche n’avait pas pu être clampé.
-Dans les suites d’une réintervention valvulaire mitrale au cours de laquelle a été mis en place une bioprothèse, quand les feuillets de celle-ci ne s’ouvrent pas ou peu et que les risques d’une nouvelle CEC et/ou d’une nouvelle auriculotomie paraissent majeurs et que l’anticoagulation a été réalisée de façon satisfaisante, c’est-à-dire que l’on ne soupçonne pas un obstacle thrombotiqu, on peut réaliser une valvuloplastie au ballon de la bioprothèse mitrale par voie transapicale comme cela a été réalisé avec succès et avec des suites satisfaisantes dans le cas rapporté.
(Date de dernière mise à jour : le 24/11/2022)